Faute: Ne pas couper sa montre après la ligne | LJQR
- Le Joggeur Qui Râle
- 26 févr. 2019
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 15 oct. 2020
Sprint final en vue. Tu es bien, aérien. Une petite foule gronde dans ce petit village sympathique, théâtre de cette course dominicale. Tu effaces un, deux, puis un petit peloton de coureurs sur leur fin, présomptueux de la dernière heure ... euphorique, tu coupes la ligne pleine balle ...

Satisfait, tu viens de jeter un œil au chrono du gros boudin rouge sponsorisé qui te fait du charme depuis 250 mètres. Tu as battu ton record personnel sur 10 kilomètres.
Petits mots avec tes semblables, et debriefing au ravito avec ton pote ... HEU-REUX. Tu aurais pu aller tellement plus vite!
Quelques minutes plus tard, tu déchantes en voyant le chrono de ta belle montre GPS défiler à toute allure: tu n'as pas appuyé sur le bouton!
Mais il y a pire. Bruno, lui, a carrément oublié sa montre chez lui! Il doit se résoudre à courir au feeling!!!! L'angoisse et l'impression de devoir courir pour rien. Rien de sa performance en devenir ne sera gravé dans le marbre numérique. Amertume. Tout le monde dans le sas demande à Bruno ce qui ne va pas tant sa moue indéboulonnable irradie sa personne ... Sacré Bruno, détends toi, ça va bien se passe!
Dans ses rêves tyranniques les plus décomplexés, Bruno rêve de faire ajourner l'épreuve le temps de retourner prendre sa Garmin! Ou quand le Progrès aliène, on peut se sentir soulagé que certains n'aient pas les moyens de leurs pulsions!
Fin de l’aparté "Bruno".
Revenons à notre ami et à notre titre ...
Bon d'accord ce n'est pas le drame annoncé dans le tire mais tout de même! Le chrono officiel et la publication des résultats honoreront tes efforts et les graveront dans la roche numérique pour toujours, c'est vrai. Mais maintenant, là, en sueur et au milieux de tes semblables coureurs, tu te sens cons avec ton chrono fantasque, ton dernier kilomètre déformé par ses secondes obèses devenues minutes, ce gras temporel en excès ... ce n'est pas sérieux te dis-tu. Ton euphorie est pervertie par des considérations bien terre-à-terre et tu en as conscience, bref tu es contrarié!
La semaine passée, à l'entrainement, tu avais oublié de lancer ta montre pour cette sortie en endurance fondamentale - ce genre de séance pendant laquelle tu es beaucoup moins au taquet avec ta toquante, au feeling - ça commence à faire beaucoup.
Nouvelles technologies riment avec nouveaux soucis?
Tu n'avais pas ce genre de de stress quand tu courais léger, pour le plaisir, à la cool. L'attrait de la performance, l'environnement social et le consumérisme (qui y échappe en 2019?), entre autres et tu bascules dans un paradigme de compétition, lequel postule du matos. La montre en fait résolument partie! La montre et le rapport que tu entretiens avec elle devrions-nous tout de suite rectifier! Une nouvelle forme d'aliénation où quand courir sans données chiffrées ne compte pas. Le runner 2.0, de son coté, n'aurait que selfie, # et pathos à proposer sur les réseaux sociaux s'il n'avait la capture de l'écran de sa garmin à proposer quand il est fier de lui et de son allure (qui n'est pourtant pas folle, mais au royaume des éternels néophytes, cela suffit pour glaner de la reconnaissance, l'Ego n'est pas exigeant et se contente de pouces bleus!). Le run pour le plaisir d'avant, c'était mieux?
Bien sûr, ce gadget - qui n'en est pas vraiment un au final - est un précieux allié de tes sorties et un partenaire fiable pour tes entrainements, mais quid quand la technologie, et les comportements qu'elle induit, vient gâcher la fête. On pourra objecter avec justesse que le hic réside dans l'homme plus que dans l'objet.
Fais marcher ta tête quand tu fais courir ton corps!
Ne sois pas linotte, pour éviter les désagréments, ancre bien la ligne d'arrivée avec le bouton stop de ta garmin neuve ou moque toi éperdument de cet incident dérisoire face à l'effort fourni. Au pire, tu pourras aussi rectifier mentalement ton dernier kilo lors de l'affichage des résultats, ça te donnera l'occasion pour une fois de rester sur place et d'applaudir les bons qui sont sur le podium!
S'entraîner, s'aligner au départ et prendre dur pour taper le chrono escompté MAIS faire la moue car ta montre ne te le confirme pas au poignet? Quelle descente aux enfers de la bêtise. Toi qui rêvait de partager cela sur les réseaux sociaux ... Car après tout, tu ne cours souvent qu'après cette pseudo-reconnaissance malgré ton blabla quotidien "c'est que du plaisir pour moi tu sais". En réalité, tu cours pour l'égo et son aliment frelaté, la reconnaissance numérique. Vivre les choses par la médiation d'une abstraction numérique. Plus tu fais dans le pathos "run for fun", plus ta bonne conscience détachée s'agite, plus tu es aliéné à ton ego. Alors quand tu montes une opération de grande envergure et que tu te rates sur la fin (cet oubli, c'est un peu le parpaing à la place de la cerise, sur le gâteau), tu le vis mal ...
Le mec qui traîne les pieds pour rentrer de son saucisson, c'est toi. Tu te vengeras sur la bière et le ...saucisson en rentrant. Et c'est bien tout le mal qu'on te souhaite. Happy End!
Le Joggeur Qui Râle
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